La dernière fois que j’ai assisté à un programme Jeunes Danseurs à l’Opéra de Paris, je découvrais la plupart des
artistes et n’avais jamais entendu parler de la moitié des extraits
proposés. A mi-chemin entre le gala et la présentation de nouvelles
chorégraphies expérimentales, la soirée n'est pas des plus accessibles aux spectateurs occasionnels, mais avec une meilleure connaissance
de la troupe et de son répertoire, l’expérience s’avère beaucoup plus agréable, le plaisir de voir danser de nouvelles têtes s’ajoutant à
celui de découvrir ou redécouvrir des extraits du répertoire maison.
Grâce à la générosité d’un spectateur, je m’installe pour la première fois au premier rang des premières loges de face. Ayant déjà testé le premier
rang du parterre, du balcon, ou encore de la loge impératrice, je pensais avoir
fait le tour des meilleures places de la salle : pas du tout. Depuis ces loges d'ordinaire dévolues aux invités d’honneur, Garnier s’offre à vous comme
jamais, du parterre au plafond de Chagall. C’est peut-être un peu loin pour apprécier un
spectacle de danse (de ce point de vue, le fauteuil de la
Directrice de la Danse est un meilleur choix) mais on s’y sent comme des
rois.
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Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer © Julien Benhamou |
Le dernier cru de la soirée Jeunes Danseurs, dont je détaillais le
programme et les distributions en début de semaine, fait la part belle aux
chorégraphes maison, d’où peut-être une entrée en matière en demi-teinte. Sorti
de son contexte, le « duo des amours enfantines »
de Wuthering
Heights (Kader Belarbi) ne parvient pas à me séduire en dépit de la fraîcheur juvénile de Laura Bachman et de l’indéchiffrable
Takeru Coste. La « création de Robert Macaire » issue des Enfants
du Paradis (José Martinez), qui débute et se termine dans un long
silence, peine également à capter l’attention malgré des interprètes de
qualité : Hannah O’Neill et Mathieu Contat s’accordent
harmonieusement mais la courte coda ne met pas en valeur l’étendue de leur technique.
La soirée démarre vraiment avec le trio charmeur de La
Source (Jean-Guillaume Bart) : si Florent Melac demeure incertain dans ses solos, il offre un
partenariat attentif à Alice Catonnet,
solide techniquement, qui déjà fait preuve d’une belle maturité artistique.
Mention spéciale au tutu et à la tiare cristallisés par Swarovski, qui
remportent sans conteste le prix du plus beau costume de la soirée. Seul
stagiaire à participer à la soirée suite à la défection de Pablo Legasa, Antoine Kirscher reprend avec brio le
rôle de l’elfe Zaël, taillé sur mesure pour... Mathias
Heymann (excusez du peu). Léger et précis, le jeune danseur ne démérite pas,
virevoltant avec malice autour du couple principal.
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Alice Catonnet et Florent Melac © lisemalgardee (Instagram) |
La première partie se termine par deux extraits plus contemporains. La
« Pavane pour une infante défunte » de Réversibilité (Michel
Kelemnis) permet à Jennifer Visocchi,
Cyril Chokroun et Antonio Conforti de faire montre de leur personnalité
avec une belle assurance en scène ; on ne peut qu’imaginer l’ampleur que doit
prendre la pièce avec des interprètes tels que ceux
de la création. Très attendu, le fameux « Baiser » du Parc
(Angelin Preljocaj) semble avoir été créé pour Charlotte Ranson : parler de sensualité et d’abandon à son
sujet relève du pléonasme tant l’attraction qu’elle dégage est évidente dès son
entrée en scène. Sculpturale, mais toute en retenue, la jeune femme évolue avec
naturel et féminité dans les bras d’Yvon
Demol, nous laissant regretter une fois de plus qu’elle n’ait pas été
promue sujet après sa remarquable prestation au dernier concours de promotion.
Adapté du ballet de Nicolas Le Riche et abrégé des passages de musique
électronique qui accusaient des longueurs, « Caligula et ses créatures » remporte un franc succès à l’applaudimètre,
porté un trio de jeunes danseurs pleins d’humour et une partition qui ne me permet pas d'être objective. Dans le rôle de l’empereur
fou, Alexandre Gasse en impose même s'il lui manque quelque chose dans les bras et les épaules pour rendre son port de tête tout à fait royal. Letizia Galloni est sauvage et insaisissable en lune, Germain Louvet prête sa superbe plastique au en cheval Incitatus (passant lui aussi après Mathias Heymann), piaffant et cabriolant avec un irrésistible second degré. S’il n’a pas la précision démoniaque
de l'étoile, le mélange de sérieux et de dérision fait rire aux éclats toute la
salle.
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Charlotte Ranson et Yvon Demol © lisemalgardee (Intagram) |
Ineptie de la programmation, Quatre figures dans une pièce
(Nicolas Paul) aurait sans mal été remplacé par les deux ou trois pas-de-deux
classiques qui manquaient à l’équilibre de la soirée. Durant 20 longues
minutes, les danseurs Daniel
Stokes, Julien Cozette, Maxime Thomas et Antonin Monié écrivent au sol à un rythme qui donne mal au poignet
pour eux, ne se redressant qu’à intermittences pour évoluer dans un espace
scénique de plus en plus réduit. La construction est intéressante mais n’a pas
vraiment sa place dans une soirée censée mettre en valeur les danseurs plus que
les chorégraphes. A ce titre, le court duo de Fugitif (Sébastien
Bertaud) qui s’ensuit est bien plus satisfaisant, mettant en valeur les longilignes Lucie Fenwick et Mickaël Lafon dans une chorégraphie
fluide, à laquelle la musique et la projection vidéo donnent un effet
hypnotisant.
Que serait un programme moderne sans un extrait de Wayne McGregor ?
Comme l’écrivait avec justesse un critique britannique en février dernier, la
richesse du vocabulaire de ce chorégraphe n’a d’égale que la pauvreté de ce qu’il
inspire (traduction libre : l’original ici).
Si la jeunesse et l’énergie d’Hugo Marchand le prédisposent à une telle démonstration
d’énergie et de souplesse, Juliette Hilaire sait faire tellement mieux que se
tordre dans tous les sens que la voir dans cet extrait en est presque frustrant. Après
ce passage un peu creux, on termine la soirée avec plaisir par un pas-de-deux d’Amoveo
(Benjamin Millepied) dans lequel Léonore
Baulac capte toute l’attention, au détriment de son partenaire Jérémy-Loup Quer. Malgré le thème
abstrait, elle semble raconter une histoire, donnant toujours l’impression de
savoir où elle s’engage.
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Une belle brochette ! Photo des saluts © lisemalgardee |